Perspectives

«Je fais la musique que mon coeur ressent.»

Portrait

Edinson Nuez

Edinson Nuez a 25 ans. Il est devenu aveugle à 9 ans, à la suite d’une dégénérescence rétinienne. Le musicien polyvalent étudie à la Haute Ecole des Arts de Zurich ZHdK, section jazz et piano. Confiant en lui et en Dieu, il consacre son immense élan créateur à sa vocation musicale.

Edinson Nuez est né sous le doux climat de la République dominicaine, où il a passé les huit premières années de son existence. Puis il a déménagé en Suisse avec sa famille. La rétine d’Edinson a commencé à se décoller alors qu’il avait sept ans. Il est devenu entièrement aveugle en l’espace de deux ans.

Suivre un parcours normal

Enfant, Edinson était très turbulent et il n’était pas facile de canaliser son énergie. Son tempérament l’amenait à courir partout, comme tous les enfants voyants. Il se cognait souvent à un obstacle ou à un mur qu’il ne voyait pas. Il était curieux et apprenait vite : «J’aimais apprendre. Je me suis très vite approprié le braille. J’aimais bien peindre aussi. Une fois, j’ai eu l’idée d’un dessin et je me suis imaginé que j’utilisais la couleur rouge. Quand l’enseignante m’a dit que je peignais en bleu, j’ai vraiment compris que ma conception des couleurs n’existait que dans mon imagination. En fait, je ne voyais pas avec quelle couleur je peignais.»

Edinson a suivi sa scolarité à l’école pour aveugles de Zurich, la SfS (Schule für Sehbehinderte Zürich), un établissement exclusivement destiné aux enfants et aux adolescents handicapés de la vue. Grâce à un personnel enseignant très engagé, il a ensuite réussi à aller jusqu’au bout de l’école secondaire publique, à Rümlang. La SfS continuait de le soutenir au niveau du matériel pédagogique.

«Il y a des gens qui croient en moi.»

Comment il est arrivé au jazz

Face à Edinson Nuez, je sens sa présence et sa personnalité. Il fait des gammes sur le piano, puis passe soudain à l’improvisation. Je ferme les yeux et me laisse emporter dans cette brève échappée.

Le jeune homme de 25 ans raconte que pendant un moment, en sortant de l’école, il faisait des parties de torball avec ses amis ; maintenant, il va en salle de sport une à deux fois par semaine. Il est aussi actif à l’église du centre chrétien de Buchegg, où il joue dans un worship band. Il a un sens de la musique très développé. Il a grandi dans les rythmes d’Amérique latine et avec le hip-hop et a appris très tôt à jouer du piano. Au début, il prenait des cours de piano classique. Etant donné ses talents d’improvisation, sa professeure Ursula Tobler l’a orienté vers le jazz. C’est la musique qu’il joue aujourd’hui. Son premier modèle était Michel Camilo, un artiste qui exprime la vitalité de la joie de vivre des Caraïbes. Il a ensuite ajouté un autre favori: «Je trouve le sens de l’improvisation de Keith Jarrett exceptionnel. A mon avis, personne n’est plus ancré dans l’instant que lui», s’enthousiasme le jeune pianiste de jazz à propos de son idole.

Edinson Nuez apprend les grands principes du jazz pendant sa leçon de piano avec Andy Hartmann.
 

Pianiste de jazz et professeur de musique

Sa voie semble tracée : il termine son Bachelor of Arts, section musique, à la Haute Ecole des Arts de Zurich ZHdK, en piano, avec Chris Wiesendanger. Il souhaite ensuite passer un master de pédagogie, pour devenir professeur de musique. Quand il est parti de chez lui, il a utilisé pour la première fois l’offre d’accompagnement pour le logement. Cela fait deux ans qu’il a son propre appartement, et qu’il gère son foyer (presque) tout seul.

Il a passé sa première année d’études à la ZHdK sans soutien particulier. Mais quand le coût de l’adaptation du matériel pédagogique pour les personnes aveugles est devenu hors de contrôle, l’office AI de Zurich a mandaté le Centre suisse de compétence pour le handicap visuel en milieu professionnel (SIBU) pour accompagner Edinson Nuez pendant ses études. Il s’agit d’une prestation appelée «Accompagnement de formation pour personnes handicapées de la vue». Dans le cadre de ce programme, tous les enseignants et enseignantes ont été informés sur la façon de travailler et les besoins liés à cette invalidité, notamment en ce qui concerne le matériel pédagogique, en distinguant les outils obligatoires de ceux qui n’étaient que facultatifs. Cela a permis d’optimiser les coûts d’adaptation du matériel pédagogique pour les personnes aveugles, tout en fournissant à Edinson, en temps nécessaire, les documents dont il avait besoin pour ses études, dans un format lisible pour lui.

Edinson : «Le soutien du SIBU a structuré mes études et clarifié mon organisation de travail.» Martin Huwyler, professeur de musique non-voyant à l’école pour aveugles de Sonnenberg, à Baar, échange avec lui sur l’enregistrement des notes de musique en braille. Margaretha Glauser est responsable de son dossier au SIBU ; elle l’accompagne dans ses études et assure la communication avec le corps enseignant de la ZHdK. L’informaticienne Saskia Buschbaum lui a appris à utiliser Voice-Over sur son Mac et l’aide aussi à se servir de programmes comme Logic, un logiciel de composition d’Apple.

Dans le cadre d’un workshop, Edinson et quelques-unes des personnes qui étudient avec lui s’exercent sur l’œuvre du bassiste Avishai Cohen. La formation mêle contrebasse, batterie, trombone, piano, et chant.

Contexte

Qu’est-ce qu’un décollement de la rétine ?

La rétine nous permet de percevoir une image à partir de ce qui se présente devant nos yeux. Quand elle se décolle, l’image s’assombrit dans une partie de notre champ visuel, comme masquée par un rideau sombre ou un mur. La rétine se décolle de l'épithélium pigmentaire rétinien, la couche extérieure de la rétine, directement située sur la choroïde.

Le décollement de la rétine est très rare, mais dans les cas les plus graves il peut rendre aveugle. Les troubles de la vision ou perceptions ci-après peuvent être les signes d'un décollement de la rétine :

  • scintillements ou flash dans les yeux ;
  • ombre/voile en bordure du champ de vision ;
  • concentration de formes évoquant des points, ou un essaim de moustiques ;
  • baisse de la vue.

Si un de ces symptômes ou plusieurs apparaissent, il faut consulter immédiatement votre ophtalmologiste. Plus un décollement de la rétine est traité tôt (au tout début), meilleures sont les chances que la vue ne soit pas endommagée. Les personnes très myopes ainsi que celles qui ont eu un accident courent un risque plus élevé de décollement de la rétine.

On distingue trois types de décollement de la rétine :

Le décollement de la rétine avec déchirure rétinienne (décollement de la rétine rhegmatogène)
Dans ce type de décollement, il se peut que la rétine ait été déchirée par une blessure, et ne soit que partiellement décollée du reste de l’œil. C’est la forme la plus courante de décollement de la rétine.

Le décollement de la rétine par traction
Dans ce type de décollement, la rétine se décolle complètement, en un seul morceau, de la choroïde.

Le décollement de la rétine exsudatif
Dans ce type de décollement, du liquide intraoculaire s’infiltre et s’accumule entre la rétine et la choroïde.
Sources : https://www.pallas-kliniken.ch/de/augen-augenlaser/augenheilkunde/netzhauterkrankungen/netzhautabloesung-amotio-retinae (en allemand)

Point de Vue

Accompagnement de Formation pour Personnes Handicapées de la Vue

Ce service permet aux personnes ayant terminé une formation de base pour personnes handicapées de la vue d’être soutenues par le SIBU pour les questions spécifiques à leur situation. Edinson Nuez, qui étudie le jazz et le piano à la Haute Ecole des Arts de Zurich ZHdK, bénéficie de cet appui depuis sa deuxième année de formation.

Quand les étudiantes et les étudiants démarrent un nouveau cursus, ils sont confrontés plus ou moins aux mêmes conditions, quelle que soit la discipline. L’université ou la haute école spécialisée leur propose généralement beaucoup de matériel et de supports, avec le message suivant : «Vous devez tout lire et apprendre, et être en mesure de faire tous les exercices». Or souvent, il est impossible d’enregistrer et de traiter autant d’informations dans le temps imparti. Chaque étudiant ou étudiante doit donc apprendre à sélectionner ce qui est le plus important. Que se passe-t-il quand en plus la personne en formation est aveugle?
 

Un grand travail de coordination

Après sa première année d’étude, Eddy Nuez a compris, avec l’office AI, que pour un musicien aveugle ce type de formation était quasiment inenvisageable sans soutien technique. C’est pourquoi le SIBU a été mandaté pour soutenir l’étudiant en musique à partir de sa deuxième année d’études, avec le service «Accompagnement de formation pour personnes handicapées de la vue».

Rendre les supports d’enseignement accessibles aux personnes aveugles fait partie de cette prestation. Cependant, il n’est pas réalisable de convertir dans les délais nécessaires plusieurs centaines de pages dans un format exploitable par une personne aveugle, d'autant que le coût serait trop élevé pour être pris en charge par l’AI. Margaretha Glauser : «Dans le cas de M. Nuez, nous avons immédiatement pris contact avec la totalité de ses enseignantes et enseignants, afin de leur faire comprendre ce que signifie pour une personne en formation d’être aveugle et de ne pas pouvoir traiter les supports d’enseignement courants. En concertation avec le corps enseignant, nous avons réussi à trouver pour chaque discipline une solution personnalisée permettant d’adapter les supports de formation et de compenser le handicap de la vue lors des examens.»

L’accompagnement de formation pour personnes handicapées de la vue est utile aux personnes concernées qui ont préalablement appris à contrebalancer leur handicap visuel avec certaines techniques de travail compensatoires. C’est par exemple ce qu’apprennent nos clientes et nos clients pendant leur formation de base, à temps plein ou partiel, destinée aux personnes handicapées de la vue et organisée par le SIBU à Bâle. Les deux secteurs, formation et accompagnement, travaillent main dans la main.

Margaretha Glauser : «Parfois, nous les aidons sur des aspects très simples. A la Haute Ecole des Arts de Zurich ZHdK par exemple, la réservation des salles n’est pas accessible aux personnes handicapées par exemple. Edinson Nuez me contacte à chaque fois pour que je lui réserve une salle sur une plage horaire précise. Ces petits gestes de soutien sont essentiels et font partie de notre travail.»
 

Lire et écrire la musique

Normalement, l’offre d’accompagnement de formation pour personnes handicapées de la vue couvre l’accompagnement pendant la formation, la coordination avec l’établissement de formation et un soutien technique. Mais dans le cas d’Eddy Nuez, cela ne suffit pas. Dans le cadre de ses études, il doit lire et écrire des notes en braille. Il lui faut un soutien complémentaire spécifique à la musique.

Le plus difficile est de transcrire les notes en braille ou de convertir en écriture noire celles écrites par Edinson Nuez, pour qu’elles puissent être lues par les autres musiciens et musiciennes et par le corps enseignant.

Martin Huwyler, un musicien aveugle soutenu par des personnes voyantes, apporte une aide précieuse. Il retranscrit l'écriture manuelle, participe aux programmes techniques (comme Goodfeel) et suit en permanence les bibliothèques pour personnes aveugles, comme SBS.
 

Appréhender les univers Windows et Mac

Edison Nuez doit en outre pouvoir se débrouiller avec le programme Apple Logic, indispensable pour les enregistrements et montages sonores. Saskia Buschbaum lui a fourni cet outil et lui a appris à se servir correctement du logiciel Logic. La ZHdK tient des salles de montage à disposition, dans lesquelles les enregistrements vidéo et audio peuvent être organisés dans la forme souhaitée. Saskia Buschbaum : «C’est agréable d'accompagner Edinson Nuez. Il est très motivé et comprend vite. C’est ce qui lui a permis de découvrir et d’utiliser relativement rapidement le programme Logic et l’univers Mac, en complément du système Windows.»

 

Photos : Michael Fritschi